Perdu en forêt : quoi faire?
Source : Espaces (site web) e
Marcher en pleine forêt, c’est comme sillonner les rues d’une ville étrangère dont les noms nous sont inconnus. Quand on se perd, notre premier réflexe ne devrait pas être de paniquer mais plutôt d’observer notre environnement et de mémoriser quelques repères visuels. Marcher en pleine nature, c’est le même exercice, auquel s’ajoutent les difficultés de progression causées par la flore sauvage et le relief. En contrepartie, on découvre des arbres géants, des petits animaux, des paysages à couper le souffle, tout en aiguisant son sens de l’observation qui est aussi un genre de sixième sens. C’est difficile à décrire, mais on devient alors plus alerte aux sons, et aux changements qui se produisent autour de nous. Ce sens atavique est là pour nous avertir d’un danger. C’est un instinct de survie, que nous avons oublié depuis l’industrialisation, mais qui sommeille pourtant en chacun de nous.
1. UTILISER UNE BOUSSOLE EN NATURE
Sans un azimut fiable, une boussole est un instrument presque inutile. Pour déterminer votre azimut, qui est en fait l’angle entre le nord magnétique et la direction visée, déposez la boussole dans votre paume en vous assurant que l’aiguille flotte librement dans le liquide. Sur un large chemin, à votre point d’entrée dans la forêt, pointez la flèche de direction ou de visée (immobile) de la boussole vers votre première balise (voir ci-dessous, règle 2). Tournez ensuite le cadran gradué pour aligner sa flèche d’orientation avec la pointe rouge de l’aiguille flottante, qui indique le nord. Votre azimut est le chiffre indiqué à la base de la flèche de direction. Surtout, ne touchez plus au cadran rotatif ! C’est l’erreur la plus fréquente que font les novices qui doutent de leur position. Évidemment, si vous changez de direction en cours de chemin, il faut bien noter l’azimut précédent, et la balise qui lui correspond. Une autre manière de procéder : tirez sur la cordelette de la boussole pour la maintenir en position horizontale, enlignez la flèche de direction sur votre balise et tournez le cadran avec le pouce pour déterminer votre azimut.
Quand vient le moment de revenir sur vos pas, pivotez sur vous-même en positionnant la pointe blanche ou noire de l’aiguille (le sud) dans la flèche d’orientation : la flèche de direction vous mènera droit à votre balise précédente.
2. LA NAVIGATION À VUE
Vous êtes à l’aise avec la boussole et le GPS ? Pourquoi ne pas les ranger tout au fond de votre sac et pratiquer la navigation à vue, la plus vieille façon de voyager ! Toutefois, cette technique comporte des risques. C’est pourquoi j’avise toujours des gens du trajet que je compte faire, et je prends soin de me munir d’une carte et d’un sifflet (en plus de mes instruments en quarantaine dans mon sac).
Je vous suggère de choisir un terrain de moins de 400 pieds de largeur (un demi-lot), entouré de sentiers VTT, de cours d’eau ou de sentiers pédestres bien balisés. Ils marqueront les limites de votre domaine. Pour une première expérience, sélectionnez un lieu à proximité d’une route primaire. C’est moins bucolique, mais vous pourrez vous repérer plus facilement et le son des véhicules vous aidera.
Aviser le pourvoyeur ou un ami de votre itinéraire précis et de la date ou de l’heure de votre retour. De plus, placez une note dans votre voiture mentionnant ces informations, avec une carte décrivant le trajet que vous comptez parcourir. Cela peut sembler laborieux comme démarche, mais, comme dans tout ce qui touche à la nature, il faut savoir que notre orgueil ou notre paresse peuvent avoir des répercussions graves pour nous-mêmes et pour les autres.
CINQ RÈGLES FONDAMENTALES DE LA NAVIGATION À VUE
1. N’oubliez pas d’aviser une personne contact de votre itinéraire et de prendre vos coordonnées GPS et (ou) de déterminer votre azimut avec votre boussole.
2. Ne vous fiez jamais à votre intuition. Les balises sont essentielles. Cherchez du regard un gros rocher, un arbre penché, ou immense, ou à l’écorce pâle, bref, un objet qui se démarque nettement des autres ; sinon, fabriquez-en un, par exemple en positionnant un rondin sec horizontalement à quelques pieds du sol ou, plus simplement et efficacement, en fixant un ruban de plastique coloré ou un morceau de tissu à une branche. La hauteur de ce type de balises vous permettra de les repérer de loin. Lorsque vous arrivez à la hauteur du point que vous avez choisi pour votre balise, cherchez en un autre pour la suivante, et ainsi de suite, en les mémorisant. Au retour, repérez-les une à une, en sens inverse.
3. Attention aux ciels gris ou blancs ! Notre sens de l’orientation n’est jamais aussi efficace sous les nuages. Redoublez de vigilance, et augmentez le nombre de balises.
4. Cheminez en serpentant. Contournez les obstacles par la gauche, puis par la droite, en visant votre balise. Une progression en ligne droite est impossible en nature, à cause des nombreux obstacles et de notre propension naturelle à dériver vers la gauche ou vers la droite (voir ci-dessous). La progression en serpent permet de conserver sa trajectoire.
5. Commencez par des petits parcours. L’orientation à vue prend du temps à acquérir ; plus vous vous exercerez, plus vous prendrez de la confiance. Inutile de répéter que la navigation à vue ne remplacera jamais le GPS et la boussole : même si vous voulez vous en passer, gardez-les sur vous : c’est votre bouée de sauvetage.
3. ES-CE QU'ON TOURNE EN ROND ?
Robert J. Koester, spécialiste américain du sauvetage en milieu sauvage, a tenté de répondre à cette question. Il a recueilli les données de 4229 cas de recherche de personnes perdues et mobiles. Koester et son équipe ont découvert que la très grande majorité (environ 90 %) étaient retrouvées à moins de deux kilomètres de l’endroit où elles avaient été vues pour la dernière fois. Les marcheurs avaient généralement tendance à dériver du même côté que leur main d’écriture. L’étude ne parle pas des ambidextres. Selon ce scientifique, il est donc vrai qu’une personne tourne en rond lorsqu’elle ne balise pas sa route ou dans des conditions de faible visibilité (la nuit, dans le brouillard, en cas de fortes précipitations).
4. LA MOUSSE ET LE VENT : DEUX MYTHES TENACES
De nombreux mythes sur l’orientation dans la nature ont été colportés par des amis ou un oncle un peu trop sûr de lui. Parfois, ils cautionnent des pratiques dangereuses à adopter.
D’abord, ne vous fiez pas au vent dominant du sud-ouest pour vous aider à vous orienter, car il est tout simplement imprévisible.
La mousse, quant à elle, poussera toujours mieux sur le côté d’un arbre où l’eau s’écoule après une averse. Les arbres n’étant jamais droits comme des flèches, l’eau ruisselle toujours davantage sur une partie du tronc, ce qui n’a rien à voir avec le nord. Par ailleurs, c’est vrai que la mousse aime l’humidité, et que l’ombre est prédominante sur le plan nord d’un volume, mais on ne peut pas compter là-dessus : l’ombre d’une roche, d’une butte ou d’autres arbres (on en trouve, dans une forêt) peut la protéger. Rien d’adéquat, donc, pour s’orienter.
Vers midi, le soleil est à son plus haut dans le ciel. Sa position indiquera alors un sud approximatif, mais qui sera bien plus fiable pour la navigation à vue.
5. ESTIMER LE NOMBRE D'HEURES AVANT LA NUIT
Voici une autre utilisation traditionnelle de la position du soleil quand on n’a pas d’outils modernes, ou qu’on veut les délaisser pour le plaisir. Tendez le bras à l’horizontale et tenez la main parallèle à l’horizon, devant votre visage. Placez quatre doigts entre le soleil et l’horizon. Cela équivaut à environ une heure, avec un quart d’heure par doigt. S’il y a une montagne ou un mont, ajoutez un ou plusieurs doigts, selon sa hauteur, pour compenser. Il s’agit d’une technique très approximative qui ne remplacera jamais votre montre. Néanmoins, si vous pouvez superposer trois fois vos quatre doigts entre l’horizon et le soleil, c’est qu’il reste environ trois heures de luminosité. Préparez-vous alors à sortir du bois, ou à vous abriter pour éviter de voyager à la noirceur.
6. QUE FAIRE SI VOUS VOUS PERDEZ ?
Si, après une marche d’une heure ou deux sans instrument de navigation, vous êtes désorienté et constatez que votre isolement vous soustrait à toute chance d’être entendu, arrêtez-vous et prenez le temps de vous organiser. Dessinez d’abord une carte sommaire – avec des brindilles, par exemple –, pour tenter d’estimer votre position géographique. Si vous pensez en avoir une bonne idée, tentez de retrouver votre chemin, sinon, restez sur place. Si vous évaluez qu’il reste environ trois heures de luminosité, il faut tenter de trouver rapidement dans les environs un lac, une forêt clairsemée, les abords d’un barrage de castor, bref un endroit à découvert avec du bois mort à profusion. La récolte de bois devrait être votre priorité : il vous permettra de faire un feu et de construire un abri.
Votre feu devrait brûler toute la nuit pour vous réchauffer, vous rasséréner et signaler votre présence aux équipes de recherche. Si vous voyez ou entendez un avion ou un hélicoptère de reconnaissance, nourrissez abondamment le feu avec des branches de sapin vert que vous aurez amassées pour faire votre lit. La fumée qu’elles produiront aidera les secours à vous repérer.
Si vous n’avez pas ce qu’il faut pour allumer un feu, construisez une hutte de débris, un abri thermique. Toutefois, il faudra en sortir régulièrement pour aider les autorités à vous repérer avec leurs instruments. Certains de ceux qu’emploie la Sûreté du Québec sont si précis qu’ils peuvent repérer l’étincelle d’un briquet !
7. NE PAS PANIQUER
Je me suis perdu trois fois en forêt quand j’étais jeune, et j’en garde un très mauvais souvenir. Néanmoins, il est très important de ne pas paniquer : ça ne fait qu’empirer les choses, à la fois psychologiquement et en termes de risque de blessure. Il faut aussi savoir qu’aujourd’hui, le signalement d’une personne disparue dans la nature est aussitôt considéré comme une urgence par la Sûreté du Québec, qui déploie très rapidement une équipe de terrain. Au Québec, les autorités interviennent chaque année dans plus de 800 situations du genre. Selon Alain Croteau, coordonnateur des recherches terrestres à la SQ, 93 % des victimes dites « communicatives » (en bonne santé et en mouvement) sont retrouvées en moins de 24 heures.