Terres illuminées
By Nathalie Schneider (Géo Plein Air)
Petit matin d’été à Rémigny, village tranquille du Témiscamingue, cerné de rivières, de lacs et de bois. Les pêcheurs connaissent bien ses eaux poissonneuses, et les chasseurs, ses forêts giboyeuses. Les férus de plein air, eux, ignorent tout de ce vaste territoire d’exploration où on peut encore se sentir libre, prêt à accueillir ce qui passe. Il n’y a qu’à tendre le regard un peu plus loin, vers le nord, pour entrevoir l’ombre de ce pays voué à l’aventure. Un pays jeune aussi: Rémigny vient tout juste de célébrer ses 75 ans de colonisation; certains de ses premiers occupants blancs sont encore en vie!
Le village s’est bâti autour d’un beau rapide réputé comme frayère naturelle où viennent se toucher le lac des Quinze et celui de Rémigny. Au cœur du village, les Aventures Obikoba organisent depuis trois ans des sorties de quelques heures ou des expéditions de plusieurs jours pour explorer le territoire: en raquettes l’hiver, en kayak de mer l’été.
Action et contemplation
Départ sous un ciel tirant sur le gris, depuis le village, à la baie Barrière. Le but de l’expédition: faire le tour de l’île rémignoise, en kayak de mer, en un peu plus de deux journées sur le lac des Quinze et son immense réseau fluvial. En ce tout premier jour, le but pour moi est de réussir à maîtriser ma technique avec un kayak sans gouvernail; cela me demandera toute la matinée, à ajuster ma dérive, jusqu’à obtenir le balancement parfait. Le propriétaire d’Aventures Obikoba, David Martineau, est un sacré pagayeur qui a à cœur d’améliorer votre pratique et, ainsi, vous faire vivre une expérience où rien ne vient troubler le pur plaisir: ni douleurs musculaires ni crampes d’aucune sorte. Et le plaisir est bel et bien là, d’autant que le ciel se dégage et nous livre l’ingrédient magique pour éclairer la beauté spectaculaire du territoire: la lumière.
Déjà, nous mesurons peu à peu l’étendue du lieu et le bonheur de savoir que nous n’aurons rien à y déplorer: ni surfréquentation ni bruits de moteur. À chaque coup de pagaie, les cinq kayakistes que nous sommes se laissent peu à peu gagner par le charme obsédant du territoire. Bras tendus, la taille en mouvement latéral à chaque poussée, petite rotation de la pagaie avant de la replonger dans l’eau claire; le mouvement répétitif du corps finit par provoquer un état intérieur méditatif. Le kayak de mer, c’est un passeport pour le zen, c’est un mantra à l’état pur.
Autour de nous, ce ne sont qu’îlots de verdure, plages désertes et héronnières jacassantes. Les berges du lac débordent de bouleaux jaunes et de gros pins blancs et rouges comme on n’en voit plus guère. Un petit portage nous attend pour traverser une distance terrestre d’une centaine de mètres en bordure du lac Lebret. Et nous voilà dans un tout autre décor, immergés jusqu’à la taille pour diriger à la cordelle notre embarcation à travers un petit rapide bien bas en ce mois d’août. Nous apercevons au loin un des refuges construits par Aventures Obikoba, accessibles autant en kayak qu’en raquettes durant l’hiver. Avant de reprendre la route, arrêt obligatoire pour nous gaver de bleuets, à quatre pattes entre les talles. Les bleuets du Témiscamingue sont-ils les meilleurs du Québec? Pas impossible…
Cette petite journée de kayak nous a d’ailleurs ouvert l’appétit. Et ça tombe bien: notre guide est un fameux cordon-bleu, gagné aux vertus du bio, qui mange les œufs de ses poules et fait pousser ses herbes aromatiques dans son potager. Au menu du soir: chili maison, salade grecque, pain artisanal et vin de pays. Un quatre-étoiles sous les étoiles.
Maudit sentier
C’est un petit défi qui nous attend en ce deuxième jour: un interminable portage d’un kilomètre et demi traversant un boisé infesté d’insectes piqueurs. «Le sentier maudit», c’est ainsi que le surnomment les Autochtones depuis que l’un d’eux a malencontreusement mis le pied sur un nid de guêpes. Trois allers-retours – et deux bouteilles d’insectifuge – seront nécessaires pour transporter embarcations, barils et sacs étanches. Une certaine expérience de l’Enfer… au Paradis.
Mais quelle récompense ensuite! Rembarqué dans son kayak, on trempe un foulard dans l’eau claire pour s’en rafraîchir le crâne, un plongeon tout habillé tant il fait chaud, une rasade d’eau fraîche, et on reprend le cours des choses, faisant glisser doucement son kayak entre les joncs pour arriver au campement en même temps que la fin du jour. Avec toujours ce sentiment persistant d’être au bout du monde habité. Les huards sont nos amis; à quelques mètres à peine de notre embarcation, ils lancent dans l’univers leurs longs chants saccadés qui se répondent.
Nous établissons notre second campement sur un socle rocheux relativement plat. Certains d’entre nous choisiront de dormir à la belle étoile sous un ciel constellé, pour profiter plus longtemps de cette fenêtre ouverte sur le cosmos. Certes, nous servirons aussi de festin à des brigades de maringouins en mission de ravitaillement. Nous prendrons ça avec un brin de philosophie, sachant que nous faisons tous – humains, maringouins – partie de l’équilibre universel et que quelques gouttes de sang sont si peu de chose à donner pour avoir le droit de dormir sous un tel chapiteau! Bref, alors que nous repartirons dès le lendemain matin vers notre point de départ, à 20 km de là, nous serons tous devenus un peu bouddhistes. La boucle sera bouclée et, dans le repli de nos consciences, nous ferons nôtre cet adage mystique: «Écoute le chant de l’oiseau non pour sa voix, mais pour le silence qui le suit.»•
Silence.
Territoire sous protection
Le lac des Quinze fait désormais partie des territoires représentatifs du Québec identifiés pour leur inestimable intérêt écologique. Des audiences publiques ont été tenues il y a plusieurs années, et le BAPE a fait des recommandations auprès du gouvernement dans le but d’y créer une réserve de biodiversité. «Le fait que ce territoire est difficile d’accès pour les compagnies minières et forestières a aidé à le protéger, explique Daniel Dufaut, urbaniste pour la MRC de Témiscamingue. Ainsi, cet endroit pourra être exploité comme lieu de villégiature et de plein air, mais pas à des fins industrielles.» Nous sommes ici à la limite de la forêt boréale, avec des essences qu’on observe davantage en forêt mixte – bouleaux jaunes, érables – grâce à un microclimat créé par la présence du lac des Quinze. Pour l’instant, celui-ci jouit d’un statut de réserve de biodiversité projetée, en attendant que le gouvernement officialise son statut de protection permanente.
Maudit sentier
C’est un petit défi qui nous attend en ce deuxième jour: un interminable portage d’un kilomètre et demi traversant un boisé infesté d’insectes piqueurs. «Le sentier maudit», c’est ainsi que le surnomment les Autochtones depuis que l’un d’eux a malencontreusement mis le pied sur un nid de guêpes. Trois allers-retours – et deux bouteilles d’insectifuge – seront nécessaires pour transporter embarcations, barils et sacs étanches. Une certaine expérience de l’Enfer… au Paradis.
Mais quelle récompense ensuite! Rembarqué dans son kayak, on trempe un foulard dans l’eau claire pour s’en rafraîchir le crâne, un plongeon tout habillé tant il fait chaud, une rasade d’eau fraîche, et on reprend le cours des choses, faisant glisser doucement son kayak entre les joncs pour arriver au campement en même temps que la fin du jour. Avec toujours ce sentiment persistant d’être au bout du monde habité. Les huards sont nos amis; à quelques mètres à peine de notre embarcation, ils lancent dans l’univers leurs longs chants saccadés qui se répondent. Nous établissons notre second campement sur un socle rocheux relativement plat. Certains d’entre nous choisiront de dormir à la belle étoile sous un ciel constellé, pour profiter plus longtemps de cette fenêtre ouverte sur le cosmos. Certes, nous servirons aussi de festin à des brigades de maringouins en mission de ravitaillement. Nous prendrons ça avec un brin de philosophie, sachant que nous faisons tous – humains, maringouins – partie de l’équilibre universel et que quelques gouttes de sang sont si peu de chose à donner pour avoir le droit de dormir sous un tel chapiteau! Bref, alors que nous repartirons dès le lendemain matin vers notre point de départ, à 20 km de là, nous serons tous devenus un peu bouddhistes. La boucle sera bouclée et, dans le repli de nos consciences, nous ferons nôtre cet adage mystique: «Écoute le chant de l’oiseau non pour sa voix, mais pour le silence qui le suit.»• Silence.
Territoire sous protection
Le lac des Quinze fait désormais partie des territoires représentatifs du Québec identifiés pour leur inestimable intérêt écologique. Des audiences publiques ont été tenues il y a plusieurs années, et le BAPE a fait des recommandations auprès du gouvernement dans le but d’y créer une réserve de biodiversité. «Le fait que ce territoire est difficile d’accès pour les compagnies minières et forestières a aidé à le protéger, explique Daniel Dufaut, urbaniste pour la MRC de Témiscamingue. Ainsi, cet endroit pourra être exploité comme lieu de villégiature et de plein air, mais pas à des fins industrielles.» Nous sommes ici à la limite de la forêt boréale, avec des essences qu’on observe davantage en forêt mixte – bouleaux jaunes, érables – grâce à un microclimat créé par la présence du lac des Quinze. Pour l’instant, celui-ci jouit d’un statut de réserve de biodiversité projetée, en attendant que le gouvernement officialise son statut de protection permanente.